Je regardais le ciel, les nuages. J'étais las, contemplatif, absorbé. Perdu dans des idées d'ailleurs. Envahi de remords vis-à-vis de mes amis, marmonnant dans ma barbe naissante. Le soir tombait en cette chaude journée d’été sur la ville rose. Je scrutais le ciel et tout à coup… une lueur !
Une lueur d'espoir m'envahit. Mon cœur se mit à battre la chamade comme un adolescent devant sa première promise. Je remuais sur ma chaise, plus léger, plus aérien. Un sourire naquit à mes lèvres. J'avais enfin la solution…
La solution amère que m'avait préparée ma tante et qu'elle me présentait sous le nez accompagnée d’une forte odeur épicée, agressive. « Tiens, ça fera du bien à tes migraines. C’est naturel ». Abject. Un bouillon de plantes, de décoctions et de différentes herbes écrasées parmi des pelures de citrons qui macéraient au milieu de feuilles…
Sur l'une d'elles, imprimée la veille, à côté de la solution, je relus le message alarmiste de ma tante. Un mot comme elle savait si bien les rédiger. « Urgent mon bichon, cette fois c’est sérieux ». Sans plus de précision. Un courriel avec des fleurs sérigraphiées en fond de page. Le besoin de se distinguer, d’enjoliver, d’enrober. J'observais le parterre d’iris…
Au milieu de son regard, les siens étaient d'un bleu violet lumineux, légèrement cachés par les sourcils qu’elle plissait sous le soleil. Ma tante jubilait manifestement. Elle m’avait encore promené à sa guise, j’avais accouru à son énième chevet. Je me perdais de nouveau en pensées négatives. Qu’avais-je fais au bon dieu pour mériter cela ? Est-ce que le fait de m’avoir élevé lui donnait tous les droits ? Pas le cœur à rire. Je levais les yeux et soudain, au détour d’une idée noire, la tuile…
La tuile sur le toit était légèrement soulevée. Le vent ? Une fouine ? L’eau risquait d’inonder la maison à la première averse. Encore une figure imposée en perspective. Je rongeais mon frein. Sale journée décidemment. J’avais déjà ma dose, il fallait en plus que je bricole ! Je détestais ça. Se changer, sortir l’échelle, les outils, gravir les barreaux jusqu’à plus de six mètres, s’accrocher au zinc…
Le mien me manquait. Celui du troquet où j’avais mes habitudes. Un endroit que j’affectionnais et que je fréquentais régulièrement, notamment pendant mes périodes d’écriture. Un lieu propice à la création pour moi, comme d’autres ont besoin de s’enfermer dans un bureau ou de flâner dans les bois. Un zinc à l’ancienne, avec le formica tout autour et le repose pieds. Ici, c’était le vrai zinc qu’il fallait approcher, le gris, celui de la gouttière. Celui du royaume des pigeons…
C’était moi le pigeon dans l’histoire. Le dindon de la farce même. Ma tante faisait toujours tout et n'importe quoi pour me récupérer auprès d’elle. Moi, son neveu chéri, son bijou, son trésor, son amour, sa raison de vivre. Elle avait le don de m’arracher à mes amis ou mes amours aux pires moments. C’était une femme idéaliste, rêveuse. Toujours dans des revues et des histoires de rois, de reines, de princesses, de couronnes….
La sienne avait cédée sous l'assaut de friandises particulièrement dures. Soit disant. Plus précisément du nougat dont elle abusait. Un mal de chien, quelque chose d’anormal, une infection sûrement, les derniers jours d’une veuve. Son baratin classique. Si je n’avais pas accouru, elle m’aurait encore fait une énorme scène…
La suite dans LES BOUCHES DES GOÛTS...
Vide l'allée du jardin
Où vous traciez le chemin
Vers des châteaux enchantés
Des parterres colorés,
Creux l'écho sur les vieux murs
Les grands pots de confiture
Les rires ont laissé la place
Aux premiers frimas de glace,
Les drapeaux flottent encore
Sur les tours du château fort
Les souvenirs s'y accrochent
Comme gravés dans la roche,
Et quelques bris de regrets :
En ai-je assez profité ?
Face à l'échelle du temps
Hantent mes nuits doucement…
Endormis la balançoire
Le chat près de l'arrosoir
Les pâquerettes respirent
Plus de doigts pour les cueillir,
Fermés le coffre à secrets
La maison bleue des poupées
Le visage de la mère
Il va bien falloir s'y faire,
Vos pas courent des chemins
Secondés par d'autres mains
Tout notre amour et des ailes
C'est la loi universelle,
Mais quelques bouts de regrets :
En ai-je assez profité ?
Face à l'échelle des ans
Troublent mes nuits à présent.
Rouillées, la sonnette rose
De vos bicyclettes roses
Et mes articulations
À chacune des saisons,
Si le sablier s'égrène
Soyez heureuses mes reines
Foulez vos propres jardins
C'est là le seul vrai refrain,
Prenez vos rêves à vos cous
Nous sommes si fiers de vous
Tout notre amour et des ailes
C'est la loi universelle,
On en a bien profité
Même si quelques regrets
Face à l'échelle du temps
Peuplent mes nuits doucement.
Quelque part au Pays basque, en Soule.
Dans un petit village tout près de Mauléon où les hêtres et les chênes recouvrent les collines, où le vert éblouit de ses camaïeux, où le temps n’a pas d’emprise sur les villageois, où l’on vous dit bonjour quand on vous croise même si on ne vous connaît pas, où les agriculteurs cultivent les sols avec respect, avec amour, où les truites furètent dans les ruisseaux d’eau claire, où les bols de lait dessinent des moustaches aux enfants, où l’odeur de l’herbe coupée vous chatouille le nez avec délice, où les cloches de l’église vous insufflent le rythme de la journée, où le fronton est un lieu de retrouvailles, où les gamins sautent joyeusement les barrières, où les haies dessinent des mosaïques dans les prés, où les volailles picorent les vers avec le ciel pour unique toiture, où la sieste est la prière quotidienne des paysans, où le vieux s’assoit en bout de table, où la météo définit les contours de chaque geste, où les oiseaux sifflent et chantent leur allégresse, où les granges en pierre traversent les siècles accrochées à flanc de colline, où la transmission orale est un devoir, où la solidarité est un sacerdoce, où la tradition est une fleur que l’on arrose avec bonheur, où la langue est une perle du patrimoine, où le plat est un partage, où le partage est une valeur.
La suite dans LES BOUCHES DES GOÛTS...
LES MAINS D’OR
Allez dire à ceux-là
Que leurs mains n’ont plus cours
Qu’il n’y a pas débat
Que leurs doigts sont trop lourds,
Eux qui ont tout donné
Ouvriers exemplaires
Sur leur poste enchaînés
Pour de petits salaires…
Allez dire à ceux-là
Que leurs mains c’est de l’or
Eux qui comptent leur mois
Comme un précieux trésor,
Qui font des sacrifices
Vivent dans l’inconfort
Qui inculquent à leurs fils
Le respect et l’effort…
Allez dire à ceux-là
Que leurs mains sont ainsi
Inutiles ici-bas
Sur des machines-outils,
Que d’autres travailleurs
Aux cachets misérables
Pour autant pas meilleurs
Sont beaucoup plus rentables…
Allez dire à ceux-là
Que leurs mains ne sont rien
À côté de l’appât
Des finances et du gain,
Qu’il faut bien s’adapter
Qu’il n’est point d’autre issue
Que la loi du marché
Sans lui point de salut…
Allez dire à ceux-là
Que demain c’est fini
Que leur vie n’est plus là
Sous ce bardage gris,
Qu’ils ont été parfaits
Rien à leur reprocher
Mais que ce jour le vent
Souffle au soleil levant…
Allez dire à ceux-là
Que demain n’est pas mort
Allez dire à ceux-là
Que leurs mains c’est de l’or.
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